COP27 : un bilan en demi-teinte pour l’Afrique

Un accord in extrémis sur le financement des « pertes et dommages », des promesses en faveur des efforts d’adaptation du continent : c’est le bilan mitigé de la COP27 de Charm-el-Cheikh, en Egypte, qui s’est tenue du 6 au 19 novembre 2022. Au moins, l’Afrique aura fait entendre sa voix.

Le continent a misé beaucoup sur ce que certains ont appelé la « COP de l’Afrique ». La 27è conférence des parties à la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques qui s’est déroulée à Charm-el-Cheikh, dans la station balnéaire égyptienne du 6 au 19 novembre 2022, est la 5è du genre à se tenir sur le continent africain après Marrakech (2001, 2016), Nairobi (2006) et Durban (2011).

Le contexte géopolitique et climatique dans lequel intervient ce rendez-vous mondial sur les changements climatiques a suscité un immense espoir particulièrement dans les pays du sud notamment l’Afrique qui représente moins de 4% des émissions mondiales de gaz à effet de serre mais subissant de plein fouet les effets du dérèglement climatique-la guerre Russie-Ukraine, les sècheresses dans la corne de l’Afrique, les inondations au sahel-surtout les travaux du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) sur l’attribution des évènements extrêmes aux changements climatiques. Le changement climatique menace d’exposer 118 millions d’africains à des sècheresses, à des inondations et chaleurs extrêmes d’ici 2030, selon le rapport d’experts.

Passer à l’action

« Sur certains axes, il y a eu de progrès certains. Sur d’autres, il y a des actions qui sont nécessaires pour les solidifier », commente Dr Youba Sokona, vice-président du GIEC. Ça a permis quand même un échange assez fructueux. Toutes les parties prenantes sont d’avis qu’il faut passer à des actions massives, le plus rapidement possible », poursuit l’expert malien.

Pour sa part, le ministre malien de l’Environnement, de l’Assainissement et du Développement Durable, Modibo Koné, a salué la participation massive du Mali, représenté par le Premier ministre par intérim, le colonel Abdoulaye Maïga et une forte délégation de plus de 200 participants. Aussi, le ministre Koné s’est réjoui des contacts noués sur la gestion des déchets au Mali ; l’allocation de 20 millions de dollars au titre de la nouvelle reconstitution du fonds d’adaptation ; l’accord de principe avec l’Agence Internationale pour les Énergies Renouvelables (IRENA) pour la construction d’une centrale photovoltaïque de 20 Mégawatts. Et enfin, l’invitation du Mali au grand forum d’investissement d’Abu-Dhabi en 2023.

La gestion des déchets est inscrite en haut de l’agenda du gouvernement de transition qui vient de résilier le contrat de l’Ozone-Mali, la société marocaine qui avait en charge l’assainissement de la ville de Bamako. Cette mission est désormais confiée à la Voirie de la mairie du district de Bamako, afin de prendre à bras-le-corps cette « lancinante question ».

Par ailleurs Modibo Koné a regretté l’absence de nouveaux progrès dans la limitation des émissions de gaz à effet de serre. « Tout le monde dit de maintenir le réchauffement à 0,5° mais personne ne corrige ses actions pour maintenir ce seuil », tance-t-il les gros pollueurs de la planète sans les nommer.

Faire entendre la voix de l’Afrique

Ahmed Sékou Diallo, le porte-voix de la société malienne sur le climat et président du Réseau africain Climat et Développement, s’est félicité quant à lui de la prise en compte de l’Afrique comme une priorité de l’agenda de la COP27. Celui qui est également membre de l’Alliance panafricaine pour la justice climatique, a favorablement accueilli l’accord historique sur le financement des « pertes et dommages » liés aux changements climatiques au profit des pays vulnérables.

Toutefois, il ne se fait pas d’illusion : « Si vous regardez l’Accord de Paris qui est signé depuis 2015, sa mise en œuvre tarde à être effective. Chaque année, ils avaient prévu de donner 100 milliards de dollars aux pays les plus impactés par les changements climatiques pour leur résilience, leur adaptation. Jusqu’ici ce taux n’est pas atteint. Chaque année ce sont des promesses, pas d’actions. »

Même sentiment d’insatisfaction chez Dr Youba Sokona. « Depuis que la Convention existe, tous les ans il y a des annonces mais aucune de ces annonces ne s’est matérialisée réellement. Je ne pense pas si le fait d’annoncer un fonds pour les pertes et dommages veut dire qu’on va résoudre les problèmes », nuance-t-il.

Changer de narratif

Le chercheur propose d’aborder le problème sous un autre paradigme. Cette fois-ci avec un narratif propre au continent et qui aborde le climat sous l’angle du développement de l’Afrique plutôt qu’en termes d’adaptation ou d’atténuation. « Le narratif propre à l’Afrique, c’est le développement : comment faire en sorte que les populations aient des meilleures conditions de vie ? Comment faire en sorte qu’on réalise nos objectifs, nos aspirations de développement sur une trajectoire de durabilité compatible avec le climat ? » interroge l’expert.

Au sommet de Charm-el-Cheikh, il y a eu des promesses de financement en faveur de l’Afrique. Autre lueur d’espoir, le retour des Etats-Unis dans les négociations avec à la clé des perspectives de financement. « Si ces fonds sont acquis, ça peut beaucoup aider à la résilience des populations. Dans les prochains jours, prochains mois, on saura si réellement les promesses faites seront tenues », affirme dubitatif Ahmed Sékou Diallo.

Investir dans la science

« Nous sommes dans la phase initiale de notre développement où on met en place les infrastructures qui vont structurer le futur », estime Dr Youba Sokona. Un pays comme le Mali n’a pas en place l’infrastructure énergétique, le système agricole qu’il faut pour réaliser ses objectifs de développement et de souveraineté alimentaire. « Tout ceci participe également au problème du climat. C’est l’ensemble de ces questions qu’il faut aborder avec lucidité et voir dans quelle mesure une partie pourrait être prise en charge dans le cadre de fonds mobilisés pour le climat, l’autre partie par les programmes ou projets de développement. Je ne vois pas du tout ce travail se dessiner dans la plupart des pays africains », déplore le scientifique qui exhorte les pays africains à investir dans la science.

Sur les 54 pays africains, il n’y a que 6 pays qui ont produit de documents d’analyse et de planification conséquents. « Ce n’est pas du tout par des sentiments, des réactions impulsives qu’on peut apporter des réponses à des questions essentielles de recherche », conclut Dr Youba Sokona.

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